
Interview de Geoffroy de Pennart
1/ Art de l’enfance, enfance de l’art
Quelle place le dessin a-t-il occupé dans votre enfance ?
Une place très importante. D’abord, l’invasion des écrans n’avait pas encore eu lieu. Lorsque la télévision est arrivée à la maison en 1964, J’avais déjà 13 ans. Pas d’écran, pas de télévision, cela me laissait beaucoup de temps pour jouer, lire ou dessiner. Ensuite, le dessin a également tenu une grande place dans mon enfance en raison de ma position dans la famille. Nous étions 5 enfants : Eric, Geoffroy, Christine, Philippe et Henri. Eric était né un an avant moi. Cette année supplémentaire lui conférait un avantage considérable : il était plus grand, plus fort et il en savait infiniment plus que moi sur tous les sujets. En plus, il avait beaucoup d’aptitudes pour le mécano et le bricolage en général. Tout ceci lui conférait un prestige considérable. Il n’y avait qu’un seul domaine dans lequel je pouvais rivaliser avec lui, c’était le dessin. Et donc, je crois que si j’ai dessiné, inventé et illustré des histoires, ça a été beaucoup pour grappiller ma part de prestige auprès de ma petite sœur et de mes petits frères!
Comment s’est nourri votre imaginaire ?
Le soir, Maman nous lisait des histoires. Il y avait bien sûr Babar qu’elle adorait. Elle connaît encore par cœur la chanson des éléphants qui commence par Cromda cromda ripalo… Les lectures étaient très variées. Il y avait les livres qu’elle avait aimés, étant enfant. Je me souviens, en autres, du merveilleux voyage de Nils Holgersson, des Histoires comme ça de Kipling ou de la petite clé d’or. Elle aimait beaucoup les contes d’Andersen. La petite fille aux allumettes nous faisait beaucoup d’effet. Chez mes grands-parents maternels, je lisais les albums de Benjamin Rabier, la souris verte, Gédéon… Maman était totalement hermétique aux dessins humoristiques et à la bande dessinée mais je me souviens qu’avec Papa nous nous amusions beaucoup des dessins de Sempé, de Bosc ou de Chaval que l’on trouvait à la fin des Paris-Match. A l’âge de 7 ans, je me suis cassé la jambe en patin à roulettes. C’était une assez mauvaise fracture et je suis resté 2 mois sans aller à l’école. Le matin, une institutrice à la retraite me faisait travailler et l’après-midi Maman me descendait sur une chaise roulante à la librairie en bas de chez nous. C’était une petite librairie. La libraire était très gentille. Au début elle a essayé de m’aiguiller vers des lectures « intelligentes » mais finalement elle m’a laissé lire les bandes dessinées. J’ai donc passé 2 mois à lire le stock de bandes dessinées des « femmes savantes » (c’était le nom de la librairie). Pendant quelques années, les seuls albums de bandes dessinées admis à la maison ont été les aventures de Tintin. Grace à ma fracture, j’avais réussi à obtenir d’être abonné au journal de Tintin. C’était l’époque de la parution de Tintin au Tibet. Le journal ne publiait qu’une seule et unique planche par semaine en dernière page du journal. La quasi totalité des 62 planches de l’album se termine sur un suspense insoutenable. Je me demande comment j’ai pu tenir le coup !
Comment cela se traduit-il dans l’adulte que vous êtes devenu ?
J’aime les histoires. J’aime en écouter. J’aime en raconter.
Quel lien gardez-vous avec l’enfant que vous étiez ?
Je me sens très proche de lui. Quand j’ai des doutes sur un album, c’est auprès de lui que je cherche les réponses. Il n’est pas toujours facile de l’entendre mais il est de bon conseil.
Des personnages de fiction vous ont-il marqué ?
Oui bien sûr des tas. Pour n’en citer que quelques uns parmi mes préférés : Babar, le capitaine Haddock, Snoopy…
2/ Sur le travail d’illustrateur et le détournement des contes
Comment votre relation avec Kaléidoscope a-t-elle commencée ?
Lorsque j’ai commencé à travailler en 1974, j’ai fait le tour des maisons d’édition avec mon dossier. Je me présentais comme illustrateur et je cherchais à illustrer des textes. J’étais bien reçu. J’ai fait des essais mais rien n’a abouti.
A la même époque, j’ai trouvé du travail dans la presse, dans la pub et dans la communication et j’ai oublié l’édition. Je suis revenu aux livres pour enfants grâce à mon amie Isabel Finkenstaedt que j’ai connue avant la création de Kaléidoscope. En créant sa maison d’édition, elle a réveillé cette envie que j’avais refoulé depuis près de 20 ans. Je lui ai demandé de me donner un texte à illustrer. Elle m’a dit que j’étais tout à fait capable d’en écrire un moi-même. Je lui ait dit que non, elle m’a dit que si. Comme je résistais, elle m’a tendu une pile de livres, Grimm, Perrault, Andersen, dans lesquels je pourrais choisir un conte à illustrer. Je les ai tous lus ou relus et j’ai choisi La Reine des abeilles. Ce n’est pas un conte archi-connu et surtout il est facile à illustrer, ce qui est loin d’être le cas de tous les contes des frères Grimm.Dans la version originale, le héros que l’on nomme le nigaud est effectivement assez niais et très exaspérant. J’ai eu envie d’en faire un personnage plus positif. J’ai voulu définir plus précisément les caractères des trois frères, changer certaines réactions qui ne collaient plus avec notre époque. C’est ainsi, avec la reine des abeilles, que j’ai commencé à travailler sur un texte, à faire un « travail d’auteur ». Après, j’ai proposé des histoires de mon cru à Isabel. Mais c’étaient des histoires « d’illustrateur ». Et nous avions des dialogues très policés de ce genre :
Isabel : « – C’est bien mais il ne se passe pas grand chose. »
Moi : « – Oui mais il faut imaginer avec les dessins. »
Isabel : « Je ne doute pas que les dessins seront très bien mais ça manque de tension. »
Moi : « – Oui mais justement la tension elle sera dans les dessins. »
Isabel : « – Mais ça serait mieux si elle était déjà dans l’histoire. »
Moi : « – … »
Bon de la tension ! J’ai essayé d’imaginer une situation vraiment tendue, un truc vraiment angoissant et j’ai pensé à : Mobilisation générale ! La Guerre est déclarée ! Transposé dans la littérature enfantine ça donne un lapin qui apprend que le loup EST REVENU ! Voilà pour la tension. Après, l’idée de faire intervenir les personnages des contes est probablement venue du fait que je venais de les relire tous. Voilà comment est né le loup est revenu ! et comment je suis devenu, du même coup, auteur de livres pour enfants ! Vous avez tout de suite trouvé votre inspiration dans le détournement de contes populaires, mais vous dites avoir lu les contes assez tard, Si ce n’étaient les contes, quelles histoires ont marqué votre enfance ? J’ai répondu plus haut sur les histoires qui ont marqué mon enfance. Maman nous lisait aussi beaucoup de contes. Mais c’est vrai que je ne les ai relu que très tard grace à Isabel. Je ne suis pas tout à fait d’accord pour dire que j’ai tout de suite trouvé mon inspiration dans le détournement des contes. En fait mes premiers livres, le loup est revenu ! et le loup sentimental ne sont pas vraiment des contes détournés. Ce sont des histoires originales dans lesquelles interviennent les personnages des contes. Si on les remplace par des anonymes, un cochon, un chevreau, une chèvre, un agneau, une petite fille et un petit garçon, les histoires fonctionnent toujours. Mais j’ai trouvé que c’était plus amusant avec des vedettes ! Le premier vrai conte détourné que j’ai écrit c’est Chapeau rond rouge (mon 12e livre). Babar a marqué votre enfance, pourquoi ne pas détourner aussi Babar? Je n’y avais pas pensé mais cette idée va me titiller.
Quel est votre parti pris dans la réécriture d’histoire ? L’axe de détournement nous apparaît être l’humour, est-ce votre angle de lecture des contes ou simplement une façon de voir la vie ?
C’est un mélange des deux. Pour Chapeau rond rouge, par exemple, ma version du conte reflète assez bien ma façon de voir la vie et effectivement l’humour y a sa place. Le conte initial du chaperon rouge est une mise en garde à l’intention des petites filles : « Obéissez- Ne prenez surtout pas d’initiative où il vous en cuira – C’est le loup qui mène la danse ». J’ai deux filles et je ne me vois pas leur envoyer ce genre de message. Et donc Chapeau rond rouge obéit (elle ne passe pas par la forêt), elle prend des initiatives (pas forcément bonnes). De son côté le loup reste dangereux (même si on peut le prendre pour un bon gros chien) mais il ne mène plus tout à fait la danse. Pour répondre autrement, je pense que l’histoire est prépondérante. L’histoire c’est le fond, Monsieur Lapin lit une nouvelle terrifiante dans le journal, l’humour c’est la forme, le titre du journal c’est la feuille de chou. Parlez-nous de votre travail sur « La galette à l’escampette » : c’est une amie libraire, Nicole Legrand, librairie Graffiti à Castres qui m’a soufflé l’idée. Je connaissais bien l’album du Père Castor, Roule galette, Isabel Finkenstaedt aimait beaucoup l’histoire du petit bonhomme de pain d’épice (Gingerbread Man). Nous avons travaillé ensemble et ça a donné la galette à l’escampette. A notre connaissance vous n’avez collaboré qu’avec une autre auteure, souhaiteriez-vous collaborer avec des auteurs sur des histoires d’aujourd’hui ? Je suis ouvert à toutes les opportunités. Tout dépend des histoires et de ma disponibilité. C’est vrai que je suis pas mal occupé avec mes propres histoires !
3/ En tant qu’ami du Muz
Pourquoi des dessins d’enfants au-dessus de votre table de travail ? Est-ce une source d’inspiration ? Regardez-vous les œuvres d’enfants sur le Muz ?
Oui, ils sont une source d’inspiration et bien sûr, je vais les regarder sur le Muz. Je suis très impressionné par l’efficacité des dessins d’enfants, par la puissance qu’ils expriment alors que, le plus souvent, ils sont réalisés très rapidement. Ceux qui ont essayé savent à quel point c’est difficile d’imiter un dessin d’enfant, d’arriver à exprimer autant si simplement. C’est une faculté qu’on perd en grandissant comme celle de sucer son gros orteil !
Vous avez soutenu le Muz en lui offrant des œuvres pour sa vente aux enchères, qu’est-ce qui vous paraît important dans cette initiative ?
C’est important que le Muz existe. Je trouve que c’est une idée formidable. J’ai raconté plus haut que je dessinais pour mes frères et ma sœur. C’est important la reconnaissance et tout le monde n’a pas la chance d’avoir un public à portée de la main !
Que diriez-vous aux enfants qui envoient leurs œuvres sur le Muz ?
Qu’ils ont raison. A mon époque le Muz n’existait pas et du coup je n’ai pas pu y envoyer mes dessins. Ils ont disparus au fil des rangements et des déménagements. Le résultat c’est que je n’ai plus de dessin de quand j’étais petit. Je suis sûr qu’il y en avait des superbes. C’est ceux-là que j’aurais envoyé au Muz s’il avait existé. Et ces dessins superbes que je faisais quand j’étais petit et que j’aurais envoyé au Muz, s’il avait existé, maintenant je pourrais les montrer à mes enfants et à mes petits-enfants. Mais je ne peux pas, alors que eux, ils pourront et ce n’est pas juste mais bon, c’est comme ça ! Envoyez vos dessins les enfants ! Surtout les superbes.
Le Loup est revenu, de Geoffroy de Pennart,
dans Kaléidoscope d’histoires, Éditions Kaléidoscope, 25€