29
Nov 2019
Presse

Claude Ponti , les droits de l’enfant, l’étroit de l’enfant dans Libé

bonsai

Retrouvez l’article de Claude Ponti dans Libération ici.

Dans le non-droit, l’enfant est à l’étroit, il grandit mal, déformé comme un bonsaï malade, amputé de ses possibles, livré aux autres qui ont les rênes, possédé par ceux qui ont les clés.

Participant au jury d’un festival du «film jeunesse», à la première réunion, je dis que, lors du tournage de son dernier film, un réalisateur (peut-être turc) avait giflé par surprise l’enfant acteur principal de la scène (essentielle) pour obtenir les larmes véritables dont il avait besoin, et que, l’ayant appris, je trouvais ce film et son réalisateur ignobles. Je fus remis en place illico et d’un ton sans réplique par le président du jury, illustrissime critique cinématographique : «Il n’y a que ce qui est dans le film qui compte. Rien d’autre n’existe.»

Je maintins ma position, ainsi qu’une autre membre du jury. Nous étions les seuls.

Frapper un enfant acteur sans raison autre que les besoins de la véracité d’une scène aux yeux du réalisateur participe des mêmes prétendues nécessités que de violer Maria Schneider dans le Dernier Tango à Paris. Elle en fut détruite ainsi que sa vie. Cela participe surtout de la même culture du viol, principe vital du patriarcat dominateur.

N’allons pas croire que le monde du cinéma et celui des arts vivants sont les seuls où la domination des personnes passe souvent par les emprises psychologiques et ou sexuelles. Les enfants sont, comme les femmes (pour qui ce sera double peine), la plupart du temps, forcés d’être ce qu’ils ou elles ne sont pas.

Si les enfants plaident pour leurs droits, ainsi que les adultes qui les suivent, c’est qu’ils n’en ont pas.

Pour beaucoup, la question même révulse. Quoi ? On ne peut plus les taper pour leur apprendre le respect ? On ne peut plus les éduquer (dresser) pour qu’ils fassent ce qu’on leur dit ?

Allons au bout des choses non dites mais secrètement pensées : Quoi ? On ne peut plus les violer pour leur apprendre la sexualité par l’amour qu’on a pour eux ? On ne peut plus les opérer à la naissance pour leur attribuer un sexe ou un genre qui n’est pas le leur ? On ne peut plus leur cacher les différentes options d’un choix qui nous dérange pour les orienter (pour leur bien) afin qu’ils ou elles ne s’égarent pas dans d’autres religions, d’autres philosophies, d’autres conceptions du monde ?

Non, on ne peut plus.
Prendre la sexualité d’un enfant, c’est se garantir que, s’il ne trouve pas d’issue dans ses ressources les plus profondes, toute sa vie cet enfant non seulement sera soumis aux règles de domination patriarcales, mais fournira aussi constamment à ses bourreaux potentiels, les moyens de déclencher cette soumission.

Ceci est la base du non-droit des enfants, c’est le moteur secret de tous les autres moyens de coercition employés. Déguisés en «C’est pour ton bien».

Dans le non-droit, l’enfant est à l’étroit. Il grandit mal, déformé comme un bonsaï malade, amputé de ses possibles, enfermé dans un corps qui ne lui appartient pas, livré aux autres qui ont les rênes, la main de fer dans le gant de velours, possédé par ceux qui ont les clés. La violence sexuelle sur les enfants et leur devenir est la réalité de leur développement et la métaphore de toutes les autres violences et contraintes qu’on leur inflige.