Atelier

De l’écriture poétique aux livres d’artistes

Institution: Ecole élémentaire LAMARTINE - Cycle III

Texte de présentation

Ce dossier relate une expérience menée dans une classe de cycle III (CE2-CM1, puis CM1-CM2, et maintenant CM1) en pédagogie Freinet, à partir de ce que les élèves caractérisaient comme « poèmes » dans leur production de textes libres.

C’est cette représentation initiale qu’il a fallu faire évoluer, en s’interrogeant sur la place à l’école des arts en général et de la poésie en particulier, avec en toile de fond cette question : comment faire de ces enfants de futurs lecteurs de la poésie contemporaine, en les amenant à d’abord être auteurs, afin de leur faire vivre « de l’intérieur » l’écriture poétique ?

Les élèves ont ensuite bénéficié des interventions d’un poète, Pierre Dhainaut, qui les a amenés à aller beaucoup plus loin dans leur perception du « poétique » et à adapter leur écriture, en resserrant leur pensée, notamment par le biais du haïku.

Au terme de cette année scolaire 2007-2008, la classe a publié un album, « Haïkus et autres petits poèmes », dont il est question ici.

Les interventions de Pierre Dhainaut ont également permis, selon son propre exemple, de lancer la production de « livres d’artistes », sorte d’aboutissement croisé de pratiques d’écriture et d’arts plastiques, qui se perpétue depuis…

C’est surtout cette dernière production qu’il s’agissait d’exposer grâce au MUZ.


Etapes

1 Réflexion sur la place des arts à l'école en général...

Si l’homme ne vit pas sans expression, surtout en projetant son affectivité dans ce que les médias lui imposent quotidiennement, il est néanmoins permis de penser qu’il peut se passer de ce qu’on pourrait appeler “une forme évoluée d’art”. On peut aussi penser que c’est très dommage, si l’on veut bien voir dans l’art, comme dans l’amour et l’amitié, l’une des meilleures raisons de vivre, ainsi qu’un outil d’élévation, de connaissance de soi et du monde.

Cela dit, on a toujours bien du mal à cerner ce que peut bien être l’art d’une manière générale. J’ai lu très récemment un paragraphe qui me semble particulièrement lumineux à ce sujet dans « L’élégance du hérisson » de Muriel Barbery (Gallimard, page 218, chapitre intitulé Une existence sans durée) :

“A quoi sert l’Art ? A nous donner une brève mais fulgurante illusion du camélia, en ouvrant dans le temps une brèche émotionnelle qui semble irréductible à la logique animale. Comment naît l’Art ? Il s’accouche de la capacité qu’a l’esprit de sculpter le domaine sensoriel. Que fait l’Art pour nous ? Il met en forme et rend visibles nos émotions et, ce faisant, leur appose ce cachet d’éternité que portent toutes les œuvres qui, au travers d’une forme particulière, savent incarner l’universalité des affects humains.”

Et Freinet a lui même circonscrit dans un sens assez proche la possible spécificité de l’écrit poétique : “Mais je dirai par contre (…) l’importance de la poésie dans nos écoles. Je définis ainsi la poésie: il y a des choses qu’on raconte parce qu’on les a vues ou qu’on explique aux correspondants. C’est, si on veut, le rayon Faits Divers. Il est nécessaire car il est une forme d’expression. Mais il y a une autre forme qu’on néglige trop souvent, c’est l’expression de ce qu’on voit au-dedans de soi, ou qu’on sent lorsqu’on ferme les yeux; ce sont les bruits à peine audibles qu’on sent et qu’on respire lorsque, dans la nuit, on écoute la forêt bruire; ce sont toutes les pensées et les sentiments qui sont en nous et qu’il est si difficile d’exprimer, et qui ont pourtant, on le reconnaît aujourd’hui, une importance si décisive.”

Entrée en matière personnelle et pleinement assumée : le domaine de l’art serait celui de l’expression de l’universel, de l’irréductible de l’humain. Il serait le terrain d’exploration de l’être au monde, disant les rapports de l’homme avec lui-même et avec son environnement, rapports faits d’admiration, de jouissance, de doute ou de peur. Il serait la résultante d’une capacité d’attention à ce qui se passe en nous au regard de ce qui nous entoure. Il ouvrirait à des abîmes philosophiques concernant la place que nous occupons parmi nos semblables et au sein de la nature, dans l’espace et dans le temps. Il dirait d’une manière autre l’indicible, les marges ultimes, se situant au-delà des possibilités des langages communs. Il serait la porte de sortie, selon Vladimir Jankélévitch, du “je ne sais quoi et du presque rien qui re-murmure en nous contre toutes les entreprises réduction-nistes”.

Et ce qui ne saurait être réduit à l’accessible par un langage commun nécessiterait de nouveaux langages. Le philosophe Maurice Merleau-Ponty s’est beaucoup intéressé à l’art et a tenté de caractériser de tels langages “décalés” : “Parler ne consiste pas à aller chercher des significations déjà données pour les traduire en mots, mais plutôt de combiner ces mots entre eux pour leur faire produire du sens. Pour peu qu’elle soit fidèle à cette productivité du langage, la parole est une opération primordiale capable d’instituer de nouvelles significations, comme au premier jour. C’est pourquoi le poète et l’écrivain ne savent jamais d’avance ce qu’ils vont dire. Le style qu’ils inventent naît à leur insu dans la conversation des vocables entre eux, à même le “physique du langage”. Tel est le “miracle de l’expression” : il faut se démettre de soi, donner l’initiative aux mots, pour enfin se découvrir soi-même.”

Entendons-nous bien : bien que réfléchissant à la place et les entrées dans l’art à l’école, il faut affirmer que notre but n’est pas de faire des enfants dont nous avons la charge des artistes. En revanche, nous avons à favoriser l’ouverture de leur regard à l’art, et pour ce faire, il nous faut sans doute les faire entrer dans des démarches qui sont celles d’artistes. Or, nous avons dans nos classes, des manières de faire qui se rapprochent plus de l’artisanat que de l’art – et ce n’est pas nier toute la noblesse de l’artisanat – quand nous proposons aux enfants de poser prudemment les pieds dans des traces préétablies, d’explorer des manières de faire éprouvées (mais je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire à certains moments). Pourtant, l’artisanat n’est pas l’art, et ce faisant, nous n’orientons pas nos élèves vers une appréhension progressive de ce qui constitue un univers de création. Ecoutons le peintre contemporain Pierre Soulages : “Un artisan a hérité de la méthode par son apprentissage ou bien il l’a découverte par lui-même, mais il sait quand il commence ce qu’il va obtenir. L’artiste, lui, ne le sait pas. Tel que je le comprends. Et dans ce sens je trouve que le métier est un mot qui désigne plus l’artisan que l’artiste. Maintenant, l’artiste peut avoir un très bon métier, une connaissance du métier, c’est vrai. Cela n’est pas un handicap. Mais l’art, pour moi, est situé au-dessus et c’est une autre manière de penser et de sentir. La différence fondamentale est que l’artisan sait où il va, par quel chemin il va y arriver, et l’artiste ne sait pas du tout où il va. Il connaît plusieurs chemins, mais le véritable artiste est toujours attentif à ce qu’il ne connaît pas. A ce qu’il ne sait pas.”

Les arts ont donc leur place à l’école, ce sont d’ailleurs nos instructions qui l’indiquent. Il faut que les enfants que nous accueillons dessinent, chantent, dansent, sculptent, composent… Mais si l’on se pose fréquemment la question du comment (avec un indulgence envers soi que l’on n’oserait guère appliquer au français ou à la mathématique, donc jugés bien plus essentiels), on réfléchit assez peu, me semble-t-il, au “pourquoi” et il est dès lors possible que le sens se perde. C’est embêtant, car la réflexion technique demeure stérile si elle n’est pas subordonnée à une finalité humaniste clairement formulée. C’est seulement ce que l’on veut faire qui détermine le comment et assure la cohérence des actions. Ce que je veux – mais ça n’a rien de très personnel ni de très original – c’est que par l’expression et la création, les enfants qui passent un ou deux ans dans ma classe se construisent ; qu’en ayant les pleins pouvoirs pour dire, ils accèdent à une nouvelle conscience d’eux-mêmes. S’exprimer, c’est se mettre à jour, avant tout pour soi-même. Structurer son expression, c’est se structurer. C’est pourquoi il me semble si important qu’effectivement ils disent et n’en restent surtout pas à des utilisations de langages exclusivement abordés dans leur aspect formel. C’est tout le sens de mon adhésion à la philosophie de Freinet, bien que je pense qu’il existe sûrement d’autres voies que celles de la pédagogie Freinet pour mettre en oeuvre une telle ambition.

Pour illustrer cette ultime finalité, je me contenterai (?) de citer par deux fois le n° 19 des Editions ICEM : « Apprendre aux enfants à explorer les arts plastiques ».

D’abord Nicole Bizieau : “L’homme est un être qui cherche… mais qui réalise, et les arts permettent cette deuxième attitude plus que toute autre activité. La pratique des disciplines artistiques oblige à la prise en compte de chacun et de tous, en tant qu’individus, par des approches personnalisées incontournables où la parole, l’intellect et le corps sont partie prenante.

L’élève est là, obligatoirement sujet, grâce aux différentes fonctions de l’art : esthétique : expérience et apprentissage du « beau », dépassement du subjectif ; culturelle : autres références ; civique : partage du bonheur et de l’émotion ; pédagogique : apprentissage par l’expérience, où l’agir ne se distingue pas du réflexif. On n’est pas du côté de la transmission des savoirs, mais du côté des expériences et des pratiques. En permettant de construire son rapport au monde, son rapport à l’autre, l’art permet de construire sa personne. Il propose des espaces de découverte et d’échanges, moment d’altérité et d’alliance, expérience de l’individuation parmi les autres en affrontant les contraintes de la communication, de la tolérance, de l’accueil et du respect de l’étrange et de l’étranger en soi et chez les autres ; conditions essentielles de l’échange et du partage. L’art est aussi un garant, un garde-fou pour les valeurs démocratiques. Il modifie les attitudes formalistes. Il est significatif, à ce sujet, que les régimes totalitaires s’attaquent en premier aux symboles de la culture et de l’art…”

Puis Clémentine et Maurice Berteloot :

“Malgré notre époque de technologie galopante qui épuise et lamine les individus, malgré les problèmes d’exclusion, de chômage, de violence, l’enfant d’aujourd’hui n’est pas dans son essence différent de tous ceux qui l’ont précédé. Les aspects extérieurs des créations diffèrent selon les conjonctures sociales et technologiques. Ils traduisent toujours l’invariance des démarches intérieures. Ce qui étonne, surprend parfois chez le jeune enfant, c’est sa soif d’entreprendre et de réussir. Les incessants tâtonnements sur l’environnement, sur les êtres vivants qui l’entourent, sur lui-même aussi, se structurent en « techniques de vie ». En fait, il essaie d’établir des « circuits » qui régiront son existence. Sans ces circuits, il n’existe pas. Rétablir les circuits manquants, rétablir les circuits détruits devrait être le souci essentiel de toute éducation. Au sommet de ces conquêtes, l’enfant se crée la possibilité, pour entreprendre, de se passer d’actions concrètes et vécues. Il peut simuler, à l’aide de formes vagues, de forces supposées, d’interactions suggérées, ce que Monod appelle, faute de mieux, l’expérience imaginaire, sublimation des expériences vécues.

Les chercheurs scientifiques parlent de mouvement fulgurant, de la pensée prospective ; le mathématicien parlera d’intuition ; le poète, le peintre et le sculpteur d’inspiration. L’éducateur y reconnaîtra la spontanéité, l’impulsion créatrice. Le dynamisme, l’originalité surprenante de cet élan profond de la personnalité tendent à la concrétisation, c’est-à-dire à l’action vécue, source potentielle de futures impulsions créatrices. C’est à l’éducateur de : s’organiser techniquement pour cultiver cette plante vulnérable, multiplier ses manifestations, créer les moyens de les faire éclore et fructifier. Tels sont les principes qui sous-tendent l’action éducative : “Tout geste d’éducation est d’abord un geste d’accueil” (Elise Freinet). Contrarier ces démarches fondamentales ou croire que le temps accordé aux activités créatrices est du temps volé aux leçons et aux devoirs, seules bases de l’évaluation, c’est enfermer l’enfant dans le conformisme passif et stérilisant. C’est l’amener à une « spontanéité tapageuse et incohérente, à des révoltes incontrôlées, voire incontrôlables ». C’est le contraindre à la négation par lui-même de ses possibilités, c’est tarir sa source. Cependant, s’il trouve un climat favorable à l’épanouissement de son être, favorable à l’évaluation de ses propres richesses, alors les activités créatrices renaîtront. Et par là, continuant à se construire par rapport au monde, il y occupera toute sa place…”

La citation d’Elise Freinet, dans sa lapidaire simplicité, devrait aussi nous alerter sur ce qu’est fondamentalement notre approche pédagogique : elle est écoute, et doit tout bâtir sur l’écoute.

J’aime décidément beaucoup l’idée de Freinet lorsqu’il affirme qu’à ses débuts en expression, “l’enfant fait d’abord le tour de sa maison”. Ce serait, si l’on veut, l’exploration de soi dans ses rapports avec un environnement immédiat : la famille, les copains et les copines, les animaux familiers. Ce serait se rassurer en éprouvant la fermeté du sol sous ses pieds. Je me rappelle d’un article du Nouvel Educateur, je ne sais plus lequel, où Jean-Robert Ghier relatait son observation de la manière dont un chaton nouvellement amené à la maison partait à la découverte de son environnement, élargissant progressivement son horizon par cercles concentriques. c’est une belle parabole de ce que l’on peut souvent constater dans l’itinéraire qu’empruntent sur la durée nos “enfants écrivains”.Une fois réalisé le tour de leur maison, ils partent dans des explorations plus lointaines. par commodité sans doute abusive, je dirais “au dedans” et “au dehors”. Par au-dedans, j’entends le regard distancié sur soi, au travers par exemple de ces textes modestement intitulés “Moi”. par au dehors, j’entends tous les regards posés sur le monde et l’humanité dans des textes de réflexion, parfois philosophiques. D’autres écrits balancent en entre les deux, qui s’appuient sur le dehors pour dire ce qui se passe dedans : j’y mettrais les voyages dans l’imaginaire et la poésie.

…et la poésie en particulier…

Pourtant, lorsqu’on parle de poésie dans le cadre scolaire, on met presque systématiquement en avant des conceptions ayant trait à la forme : un poème serait d’abord un texte référé à des contraintes formelles.

J’entends ici, dans un discours institutionnel, qu’écrire de la poésie, c’est essentiellement se plier à des obligations de structure (la rime, la métrique…). A l’extrême inverse, on préconise l’absence de toute espèce de contrainte. J’entends là, lors d’une émission de télévision, de la part d’un poète « professionnel » intervenant dans une classe qu’il s’agit au contraire de s’amuser, de faire voler en éclat toutes les conventions, y compris celle du sens, en tentant au hasard des associations de mots, d’idées, dont il ne faudra pas s’émouvoir si elles s’avèrent saugrenues. Plus ce sera rigolo, plus on sera content. Et de convoquer les grands mots… la liberté !

Ce qu’il faudrait questionner de manière approfondie, c’est de savoir ce qui rendrait une authentique expression possible, et ce qui l’empêcherait au contraire de la libérer. Je pense que les enfants que nous recevons dans nos classes sont déjà fortement « formatés » et qu’il est alors difficile de libérer leur expression. Formatés par le contenu des « cahiers de poésie » qu’ils ont appris par cœur ; formatés aussi par des démarches d’écriture référées à des modèles, modèles que Paul Le Bohec pourfend avec verve dans ce dialogue imaginaire à propos de l’écrit historique : “Collé sur un cahier de français de CM1, j’ai lu récemment un texte photocopié : COMMENT CONDUIRE UN RECIT HISTORIQUE ? Suivait une dizaine de lignes de consignes précises. Ca me paraît être un style de grammaire de la production très répandu dans les écoles et les collèges.

– Oui, il faut tout leur expliquer: comment rédiger un compte-rendu, comment remplir une lettre de réponse au correspondant, leur donner l’idée de mettre des rubans dans des arbres. Il faut bien les aider: ils n’ont jamais aucune idée personnelle.

– Et après, est-ce qu’ils écrivent des récits historiques ?

– Oui, au moins celui qu’on leur a demandé.

– Est-ce qu’ils n’auraient pas plutôt envie d’écrire des contes ?

– Si, évidemment, mais là, attention ! Il y a aussi des règles de composition à respecter: le héros, l’opposant, l’adjuvant, les épreuves, la récompense, etc. (Vladimir Propp). Mais j’ai beau leur fournir beaucoup de solides outils de ce type, ils n’écrivent pas. Alors qu’au CP…

– Est-ce que tu leur fais confiance en les laissant libres de choisir leurs sujets et leurs formes ?

– Non, pourquoi? Quelle question !”

Pourquoi ce qui est ainsi proposé aux enfants relève-t-il essentiellement de la forme, de l’aspect extérieur, ou du jeu, ou des deux à la fois ? De deux choses l’une…

Ou bien l’on pense que la poésie se limite effectivement un jeu sur les formes et les mots. Dans ce cas, c’est la culture de l’adulte qui est défaillante. Il conviendrait donc de lire de la poésie et de s’interroger sur son évolution historique, en faisant l’effort d’aller jusqu’à la production contemporaine, pour remarquer qu’elle dit – comme les autres arts – ce qui constitue peut-être l’irréductible de l’humain, bien au-delà d’un rapport ludique aux mots ; et que l’évolution des formes va dans le sens d’une liberté de plus en plus grande.

Le symbolisme marque à cet égard une profonde rupture. Tout au long de l’œuvre de Mallarmé, on assiste à un affranchissement progressif par rapport aux modèles historiques. Au terme d’un parcours entamé avec l’alexandrin, le sonnet, la forme n’est plus préexistante, mais se trouve conditionnée au cas par cas par la création poétique elle-même. L’exemple le plus frappant parce qu’absolument sans précédent en est illustré par le poème « Un coup de dé jamais n’abolira le hasard ». On doit pouvoir le trouver sur Internet ; je vous conseille d’aller au moins voir ça ! Sans aller aussi loin dans la complexité – car c’est un art extrêmement exigeant – il faut se souvenir qu’avant Mallarmé, Nerval, Baudelaire et Rimbaud ont écrit des poèmes en prose, dans lesquels le poétique n’est plus guère lié à un aspect formel.

Ou bien l’on sait à l’évidence que la poésie ne se limite pas à un jeu sur les formes et les mots, mais l’on pense que les enfants n’ont pas accès à davantage de complexité. Ils peuvent lire une poésie qu’on leur pense adaptée, écrite à leur attention, en apprendre par cœur éventuellement, mais pas en créer, ou alors seulement en se cantonnant au jeu.

Pendant ma formation d’instituteur spécialisé, on m’a souvent mis en garde contre « l’effet Pygmalion » ; pour caricaturer, l’image que je me fais des possibilités d’un apprenant rejaillit fortement sur ces résultats. Untel aux potentialités limitées deviendra meilleur parce que de manière erronée je lui aurai accordé une image plus positive ; à l’inverse, tel autre aux possibilités remarquables aura des résultats décevants parce que j’aurai inconsciemment minoré mes attentes…

Je me suis depuis souvent demandé si cet « effet Pygmalion » n’est pas en réalité un syndrome constant du regard que beaucoup d’adultes portent sur les enfants. On aurait une image – mais fabriquée de quelle manière ? – de ce qui serait ou pas à leur portée, image parfois juste mais aussi parfois totalement erronée. J’en veux pour preuve – entre autres exemples possibles – le fossé qui sépare les textes d’adultes à destination des enfants (et tout particulièrement en poésie) que l’on trouve dans certains manuels et ce qu’écrivent les enfants eux-mêmes dans le cadre du texte libre. Je ne dis pas qu’il n’existe pas une excellente littérature pour les enfants, mais j’ose prétendre qu’il y a beaucoup plus de réflexion, de juste observation, de sérieux, de sensibilité, de maturité et de profondeur dans bien des écrits d’enfants que dans quantités de projections d’adultes sur le monde enfantin.

Ou bien… Ou bien… Dans les deux cas, je pense que c’est une erreur.

Pour être clair, je ne vois pas de passerelle possible entre d’une part la poésie adulte contemporaine que je lis et d’autre part ce qu’écrivent les élèves selon les procédures formelles et ce qui emplit leur cahier de poésie. Je ne parviens pas à croire un seul instant que ces élèves-là deviendront des lecteurs, voire des auteurs de poèmes. Ils auront à tout reconquérir par eux-mêmes, tout au moins pour la petite part d’entre eux qui, selon l’ambiance culturelle de leur milieu, aura cette chance. C’est comme si des géomètres s’étaient trompés dans leurs calculs : la portion du tunnel que l’on creuse par ici ne rencontrera pas celle qui débouche à l’air libre de l’autre côté.

Ce qui m’apparaît comme fortement gênant, c’est que dans le mouvement Freinet lui-même, où l’on met en avant et à juste titre le rôle moteur et bénéfique de l’expression, voire son potentiel curatif, qui participe à la construction de soi et donne sens aux apprentissages, on puisse persister à se référer à un aspect formel de l’écrit poétique, en passant par-dessus la question du contenu.

J’aime à penser que c’est surtout faute de savoir comment faire autrement que l’on assure du même coup de succès des modèles préfabriqués ou autres « fiches d’incitation »… Il est d’ailleurs curieux de constater qu’alors que la question ne se pose pas quand nous nous entretenons du texte libre, le besoin d’un échafaudage, d’un « appareillage » apparaît lorsqu’il s’agit de poésie – mais aussi, pourquoi établir une telle distinction, alors que la poésie peut, doit faire partie intégrante d’une production de textes libres ?

Le « Chantier Outils » du Mouvement Freinet a récemment présenté Gouttes de mots, un « fichier d’éveil à l’écriture poétique ». Si j’en ai bien compris la démarche, je ne vois pas en quoi il s’agit là d’expression comme il est écrit sur la pochette, si toutefois l’on veut bien se référer à la définition selon lequel s’exprimer, c’est « manifester sa pensée, ses impressions ». Certes, on n’en voit là que le début, l’entrée en matière, et il faudrait voir à quoi l’on peut ainsi aboutir après plusieurs mois de pratique. Mais a priori, je ne vois pas bien en quoi l’enfant qui aura écrit : « Il vaut mieux avoir un presse-bouchon qu’un tire purée » ou « Des chaussures de toilettes avec de papier de sport » aura avancé dans la mise à jour de ce qui le fait lui, sa conscience d’être au monde, aura cultivé son attention et sa sensibilité à ce qui l’entoure… L’écrit d’enfant est fondamentalement un écrit de proximité. Je ne comprends pas que l’on puisse ainsi volontairement l’en éloigner.

Il s’agit là à mon sens d’une redoutable impasse, qui ne peut ni amener à une écriture en rapport avec la précédente citation de Freinet (je ne parle pas de conformité à un dogme, mais d’adhésion à un état d’esprit), ni à entrer dans les références adultes actuelles. Ce n’est guère plus pertinent que les trop célèbres « Charlotte fait de la compote… » ou « La terre est bleue comme une orange », bien qu’affirmant le contraire.

2 Entrée en matière

Donc, il nous faut d’abord obtenir des poèmes, et par conséquent induire, parmi la production de textes libres, l’apparition de la poésie. On peut tout simplement y inviter. On peut en lire beaucoup. On peut aussi faire le choix de répondre avec un maximum de poèmes… Il me semble que la poésie – ou ce qui est supposée telle – apparaît toujours ; pas en début d’année, mais par la suite, une fois que le nouvel écrivain a « fait le tour de sa maison » (Freinet).

Il faut peut-être ensuite « casser » tout ce qui engage sur de fausses pistes. Encore faut-il savoir comment « casser » ; cela nécessite du doigté ; on sait, normalement, avec quel enfant on peut se le permettre, avec quel autre ça pourrait s’avérer catastrophique. Ce fut par exemple le cas il y a deux ans avec ce texte présenté par Laurane, dont je savais bien qu’elle « encaisserait » sans difficulté une critique radicale :

Alouette

Jolie alouette !

Que fais-tu perchée sur la brouette ?

As-tu vu le chat qui te guette ?

Il te voudrait dans son assiette !

Voyons ne fais pas la tête…

Bientôt le printemps sera là et le jardin sera en fête !

On peut juger cela touchant, mignon, que sais-je encore… La question à poser me semble être : où est Laurane dans cela ? Ma réponse est : nulle part ! Laurane a voulu écrire – c’est elle qui l’a affirmé – un poème. Et pour ce faire, elle s’est pliée à la contrainte formelle des rimes parce que selon elle, c’est le critère qui fera de son texte un poème. Sa préoccupation essentielle a été de dénicher un maximum de rimes en –ette, ce dont elle ne s’est d’ailleurs pas mal sortie ! Je n’ai pas nié son argumentation, mais j’ai affirmé à sa grande surprise que ce n’était pas là l’idée que je me faisais de la poésie, et surtout que la poésie ne pouvait pas se définir par la seule présence de rimes…

J’ai toujours en tête qu’écrire des textes, c’est avant tout dire et surtout se dire pour se construire. Je fais donc la chasse au gratuit, à ce qui n’engage pas le plus fortement possible celui qui écrit dans ce qu’il écrit ! Donc, je ne veux pas que les enfants s’imposent à eux-mêmes des blocages à l’expression, telle l’exigence de la rime. C’est encore plus visible quand arrivent des acrostiches. Cette forme est tellement contraignante qu’elle induit les écrits les plus nuls possibles ! Une fois que chacun s’y est essayé – et en général cassé les dents – j’en viens à carrément les interdire (eh oui, je ne fais pas dans l’adoration de la moindre broutille enfantine)… si toutefois cela s’avère utile, car l’expérience amène immanquablement le renoncement !

Pour prouver mon propos à Laurane, j’ai lu à la classe “AUBE” de Rimbaud :

Aube

J’ai embrassé l’aube d’été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée, je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. À la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.

Réaction de Camille, qui prend la parole la première : “Je n’ai pas beaucoup compris, mais c’est plein de belles phrases !”. Question à la classe : “Est-ce que c’est de la poésie ?” Réponse unanime : “Oui !” Je montre alors le livre : surprise… “Aube” ne présente aucun des signes extérieurs habituellement attribués aux poèmes, c’est un poème en prose. Et l’on comprend bien, alors, que ce qui fait la poésie est indépendant de signes extérieurs !

S’il n’est pas possible de dire ce qu’est la poésie, il est en revanche possible de détecter, au fur et à mesure des rencontres, ce qui relève de ce qu’on peut caractériser comme poétique, soit lors de présentations de textes, soit lors de moments de vie qui imposent un regard, un silence : la couleur du ciel au matin, l’oiseau qui derrière la fenêtre observe la classe d’un œil rond, etc. Bref : l’instant magique, l’émotion fugace, qui ne mobilise en rien l’imagination telle qu’on la suppose nécessaire à la création, et qu’on essaie de transcrire en tentant d’en préserver la pureté, dans une écriture élaguée et bien sonnante… C’est un travail d’éveil et d’incitation quotidien. C’est ensuite une « part du maître » surtout faite de questions – celles qui conduiront à dire le mieux possible ce qu’il est si difficile de dire, à lever les blocages devant une telle difficulté – et de propositions.

Il me faut ici lever ce que je pense être un malentendu. Quelle est notre part, quelle est notre latitude d’intervention sur une écrit, un dessin, une peinture d’enfant ? Peut-on… A-t-on le droit… Autant de fausses questions : toute “adoration” de la production enfantine, qui est un respect très mal compris, conduit à la paralysie. Ce respect mal compris peut empêcher un enfant d’apprendre ! La condition du progrès est l’intervention, dont l’amplitude est à évaluer soigneusement : c’est toute la si délicate question de la part du maître, balançant entre la permissivité et la rigueur, la question, la suggestion et la proposition. dans “Le texte libre”, Freinet ne dit pas autre chose :

“Nous avons entre les mains le texte brut. Qu’allons-nous faire de ce texte ? Les mêmes qui, au début de notre expérience, ironisaient sur la valeur psychologique et la portée pédagogique du texte libre, et prônaient l’éternelle fidélité à la pensée adulte imposée comme modèle et comme guide, auraient tendance à critiquer aujourd’hui notre timidité et à dire : le texte libre, la pensée et même la syntaxe de l’enfant doivent être intégralement respectés, sinon il y a déformation, abus d’autorité. Copiez donc au tableau le texte choisi sans rien y changer. Tout juste corrigerez-vous les fautes d’orthographe, et encore ! Telle n’a jamais été notre conception du texte libre. Nous pensons certes que le respect de la pensée de l’enfant est, en l’occurrence, une chose essentielle, mais nous savons aussi qu’il ne saurait y avoir éducation sans influence, directe ou indirecte, des enfants par les éducateurs. L’enfant n’apprend à parler sa langue maternelle que parce qu’il a autour de lui des gens qui parlent, qui vivent cette langue. Et il apprend d’autant plus parfaitement que les modèles sont parfaits. Il en est de même pour l’expression écrite. L’enfant n’apprendra pas à écrire correctement s’il n’a pas en permanence sous les yeux la perfection des textes écrits ou imprimés.

Nous nous garderons donc d’offrir en exemple dans nos journaux scolaires des textes qui auraient pour seule originalité d’être évidemment écrits par des enfants, mais qui n’en constitueraient pas moins, sous une forme éminemment suggestive, de déplorables exemples. Alors, ce texte, nous allons tous ensemble le mettre au point pour en faire une page qui garde de la pensée enfantine tout ce qu’elle a d’unique, d’original et de profondément humain, et qui soit cependant présentée sous une forme, avec une plénitude d’expression qui aident les enfants à monter, par tâtonnement expérimental, dans la connaissance et le maniement de la langue.”

Cette démarche a produit ses effets puisque depuis quelques années, les enfants écrivent dans ma classe quelques poèmes qui échappent heureusement à toute définition formelle…

La présente année scolaire est à cet égard particulière. J’ai dans ma classe une dizaine d’enfants pour la troisième année consécutive. Ceux-là ont d’une certaine manière « épuisé » l’écriture qui vise à « faire le tour de sa maison ». Ils sont disponibles et ouverts à autre chose. J’en ai vu certains, en fin d’année scolaire 2006-2007 se lancer dans l’écriture poétique, et il m’est apparu comme indispensable à ce moment de recourir à une « personne ressource » capable de nous amener plus loin, si possible un(e) artiste à même, justement, de nous parler d’une œuvre en construction, de plain pieds dans la création la plus contemporaine.

J’ai donc tout naturellement franchi le cap de la timidité pour m’adresser à Pierre Dhainaut.

3 Les interventions de Pierre Dhainaut

Pierre Dhainaut est l’un des acteurs majeurs de la poésie française contemporaine. La reconnaissance étant enfin venue, il a fait l’objet d’une semaine de colloque à la Sorbonne à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire et d’une série de manifestations dans de grandes villes, dont, dans notre région, des expositions et rétrospective à la bibliothèque municipale de Lille ou au LAAC à Dunkerque.

Accessoirement – mais pas pour moi ! – il fut professeur de lettres au lycée Jean Bart de Dunkerque. Je l’y ai fréquenté deux ans, vénérant comme beaucoup de mes camarades ce professeur timide et sauvage, parfois “lunaire”, passionné et passionnant, qui ne s’est jamais contenté de commenter les grands textes de la littérature française, s’efforçant de nous les faire aimer. Un de ces prof’ inoubliables qui vous marquent à vie, qui tient sa part dans ce que vous allez devenir. je lui dois au minimum le goût de l’écriture et la curiosité des arts. Nous avions appris par l’un de ses collègues qu’il était aussi poète, mais il avait toujours refusé de nous parler de lui, avec l’argument qu’il n’y avait rien à expliquer, et qu’il nous fallait, si nous le désirions, tout simplement lire… Quelques uns d’entre nous ont alors acheté un recueil fraîchement publié, intitulé « Le poème commencé ». C’est peu dire que sa lecture nous a profondément troublés. Nous nous trouvions là en présence d’un style d’écriture parfaitement déroutant au regard de ce que nous lisions par ailleurs… et particulièrement en cours de lettres !

 

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Et quand j’ai éprouvé le besoin d’un « spécialiste » (il détesterait ce mot !), j’ai évidemment pensé à le tirer de sa – très active ! – retraite.

Il a d’abord été réticent, se déclarant mal à l’aise avec des jeunes élèves, lui qui a fait toute sa carrière en lycée. Il avait surtout quelques préventions contre ce que l’institution scolaire promeut comme écriture poétique dans les classes, s’attendant à lire des enfilades de rimes à deux sous et avançant pour preuve ce qu’il voyait dans les cahiers de poésie de ses propres petits enfants ! Je lui ai donc proposé de jeter un coup d’œil aux recueils de textes publiés par la classe depuis mon retour à Dunkerque. Un argument massue, semble-t-il, puisqu’il a rapidement rendu les armes, encouragé en cela par son épouse, également ancienne prof’ de lettres, qui n’a pas été insensible à ces lectures.

A la fin des grandes vacances 2007, nous avons discuté du « comment » et convenu de « rencontres préparées »… préparées par lui, pas par la classe. Tout poème écrit en classe est déposé dans sa boîte aux lettres. Il lit, annote ou non… Quand il en a une certaine quantité, nous convenant d’un rendez-vous et il vient en classe. Il demande aux enfants de lui lire leurs productions, en profite pour glisser quelques conseils quant à la lecture, et commente, très naturellement, avec beaucoup de retenue et de sensibilité. Il lit aussi de ses propres œuvres et répond à toutes les questions avec gentillesse et disponibilité. Je suis un peu jaloux de voir que mes élèves en savent déjà beaucoup plus sur lui que moi-même à l’époque du lycée Jean Bart !

Ses premières analyses ont concerné une certaine « légèreté ». Il s’est mis en chasse du convenu (les « cartes postales » !), du pesant, du « collant », invitant à simplifier, élaguer, aller à l’essentiel. Il a réclamé l’ouverture : que celui qui entend ou lit le poème ait le besoin de s’arrêter, de laisser résonner et puisse s’approprier. On est ainsi progressivement passé à une sorte de minimalisme, à des notations du fugace, la fixation de l’écume des émotions.

En même temps, il a levé bien des inhibitions. Beaucoup d’enfants, même parmi les plus productifs, ne s’étaient jamais frottés à la poésie. A sa demande de justification, ils ont répondu qu’ils se sentaient en manque d’imagination. Quelle surprise de l’entendre alors rétorquer que l’imagination n’avait rien à voir avec la poésie : écrire des poèmes, c’est être attentif à ce qui se passe autour de soi, cultiver un regard sur l’environnement humain ou naturel immédiat, traduire simplement ses sentiments dans cette confrontation ou cet accord.

Très vite, la convergence de la simplicité et de l’immédiat l’a mené à proposer l’exploration du haïku. Il s’agit du « poème court japonais », forme apparue au XVIIème siècle, assez rigide : dix-sept syllabes, une seule ligne verticale, trois parties, une référence obligée à la nature, avec présence d’un « mot saison » qui permet de situer le poème dans l’année. Ecriture fortement marquée par le bouddhisme zen. C’est le cadre d’origine. De grands auteurs : Matsuo Bashô, Yosa Buson, Kobayashi Issa… En français, on a adopté pour la traduction la présentation en trois lignes. Les obligations d’origine se sont ensuite assouplies. On écrit encore aujourd’hui des haïkus, mais sans se plier forcément aux références à la nature et aux saisons. Demeure cependant un dénominateur commun : l’idée d’un contraste, d’un va-et-vient entre le personnel et l’universel, le particulier et le général, le ponctuel et l’éternel : « Un monde dans une coquille de noix », ouvrant parfois à des abîmes de réflexion, étonnants au regard de la brièveté, de la simplicité apparente…

Pour Pierre Dhainaut, l’intérêt majeur d’amener à écrire des haïkus est d’obliger à resserrer à l’extrême sa pensée, à en venir naturellement à l’elliptique, à cultiver l’observation de menus faits déclenchant l’émotion, à traduire le plus immédiatement possible l’étonnement ou le ravissement.

On pourra rétorquer qu’il est pour le moins paradoxale, après avoir fustigé des approches par trop formelles, avoir libéré les enfants de toute idée de rime ou de métrique, d’en arriver à imposer un nouveau carcan. Oui mais… D’une part cela n’intervient qu’une fois l’expression déjà libérée. D’autre part, cela n’apparaît que comme un outil ponctuel : pour Pierre Dhainaut, l’intérêt majeur d’amener à écrire des haïkus est d’obliger à resserrer à l’extrême sa pensée, à en venir naturellement à l’elliptique, à cultiver l’observation de menus faits déclenchant l’émotion, à traduire le plus immédiatement possible l’étonnement ou le ravissement…

Rien ne pèse dans ses interventions. Et pourtant quel impact ! Il pratique quelque chose que je rapprocherai de la « maïeutique » socratique. Car mine de rien, son apport s’est vite révélé considérable. Après chacun de ses départs, nous notons ce que nous avons appris de lui ce jour-là. Cela constitue une fiche évolutive pour le porte-vues. Voici ce qu’elle contenait en février 2008 :

Sur l’écriture des poèmes :

Écrire à partir d’un mot, d’une phrase qui est venue toute seule ; ce n’est pas une « idée » comme quand on écrit une histoire ; donc, au début, ce n’est pas un travail, puisque ça vient tout seul ; c’est la suite qui va demander du travail…

Ce travail, c’est la recherche du mot juste, de la plus belle sonorité.

Il faut parfois attendre que les mots viennent. Il faut faire silence en soi, « Écouter au fond de soi des paroles endormies » !

Il faut se confronter à la feuille blanche.

Ne pas employer le mot « idée » : en poésie, il s’agit des émotions, du sensible…

On peut procéder par « notations » : exprimer directement, avec un minimum de mots, une sensation, sans chercher à construire des phrases.

Le poésie n’a pas besoin de logique, de se développer avec des connecteurs (et, mais, cependant, donc, puisque, etc.). Il faut rendre sensible à l’immédiateté des sensations.

L’artiste va à la rencontre d’une idée en écrivant, en peignant, en dansant, en composant. L’idée n’existe pas avant de commencer : elle se découvre peu à peu en faisant.

Il faut écrire beaucoup pour avoir des mots plein la tête. Il ne faut pas oublier de noter dès que quelque chose vient !

Ecrire des poèmes, c’est aiguiser ses sens, apprendre à regarder, à être attentif au monde. Ceci n’a rien à voir avec l’imagination : c’est beaucoup plus simple que ça !

Sur la lecture des poèmes :

« Il faut donner sa chance à chaque syllabe! »

Sur les structures des poèmes :

Terminer comme on a commencé.

Alterner un mot / une phrase / un mot / une phrase…

Utiliser l’anaphore : des répétitions volontaires qui structurent.

Le Haïku :

Dans la tradition japonaise, il est toujours lié à la nature. Il s’appuie sur un détail minuscule, mais s’ouvre vers l’infini (« Un monde dans une coquille de noix »).

Il fait toujours référence à une saison ; il doit donc comporter un « mot-saison » qui indique à quel moment de l’année le poème est situé.

Il comporte rarement un « Je » ou un « Moi » ; il faut au contraire s’effacer pour donner à ressentir.

La première fois qu’il nous a lu l’une de ses oeuvres fut un moment marquant. Il voulait illustrer le fait que l’écriture prend parfois appui sur un simple mot, souvent un mot aimé entre tous ; pour lui, par exemple, « arbre » :

Si nous le prononçons pour lui-même, ce nom d’« arbre »,

nous n’aurons qu’une envie, servir à nouveau

la syllabe ardente. Que les branches soient noires

ou rayonnantes, bruissantes, que ce soit orme ou saule,

l’écorce aussitôt se déchire, le tronc brûle et s’élève :

il dit l’entente, il dit l’appel qui vient du monde

autant que de la langue. Aucune voix ne tombera,

qu’il anime, qu’il oblige à la plus juste écoute,

le soir également, la terre est la terre promise.

in «Entrées en échanges », édition Arfuyen, 2005.

Nous avons adoré ce poème, qu’il a ensuite accepté de nous expliquer, car bien sûr, la fascination pour cette beauté s’est accompagnée par des interrogations légitimes. Comme l’avait exprimé Camille à propose d’« Aube » de Rimbaud, « C’est très beau mais on a pas tout compris ». Ce fut l’occasion d’une mise à distance de ce qu’est habituellement comprendre, qui n’est plus de mise lorsqu’il s’agit de poésie. Une clé essentielle ! Message reçu puisque trois mois plus tard, lorsqu’il nous a lu « Offrir et ne jamais finir », on s’est « contenté » de se laisser aller au bonheur, sans questionnement (ce qui ne signifie pas absence d’adhésion à la profonde, bouleversante humanité de ces lignes), dans une ambiance que je souhaite à chaque camarade de vivre un jour…

Offrir et ne jamais finir

…offrir sur la vitre

la première buée. Tu rêverais

uniquement d’être ici en avril,

tu n’y inscrirais que les initiales

des prénoms que tu aimes, et toujours

ce serait, venant à ta rencontre,

le vent frais, les nuages, l’écumes…

…offrir un peu d’eau

recueillie le long du trottoir.

A peine au creux des mains,

tu ne dirais plus qu’elle est sale,

tu t’en laverais le visage,

aussitôt tu retrouverais

ce bruit de source où le ciel se découvre…

…offrir une graine

tombée de l’érable, écrasée.

Tu la tiendrais au bout des doigts,

il te viendrait un souffle

déjà pour disjoindre tes lèvres

en épelant le mot samare

et partir, partir, très loin avec elle…

…offrir un fragment

d’écorce, quel que soit l’arbre,

mais de préférence un bouleau,

la plus fragile. Sans cesse,

en le touchant, tu ranimerais le regard,

tu sentirais en plein essor

le tronc clair qui tressaille…

…offrir un papier

jeté, froissé. L’origine inconnue, les lettres

devenues taches grises, l’encre et la pluie

mélangées à la terre : chaque ligne

malgré tout suivie comme des veines,

tu apprendrais à lire,

tu en ferais le début d’un poème…

…offrir un caillou

que tu prends, puis reposes

dans le lit du torrent. Tu saurais bien

quelle est ta place à genoux sur la rive,

la sienne aussi entre tant d’autres

au milieu des remous, toi silencieux,

lui lumineux, ensemble…

…offrir dans le sable

ces empreintes d’oiseaux

qu’effacera la moindre brise.

Si tu évitais de peser sur elles,

rien qu’à entendre

un seul cri de mouette,

tu ruissellerais sous la vague…

in « Levées d’empreintes », édition Arfuyen, 2008.

Au début, en octobre, les rencontres ne duraient qu’une demi-heure. La dernière en date, qui était la cinquième, début février, a duré deux bonnes heures et « avalé » sans coup férir la récréation !

Une relation s’est installée, basée sur un profond intérêt réciproque, qui va se poursuivre, sans que nous sachions comment ni jusqu’où. Cette ignorance a priori synonyme d’impréparation est très mal vue dans notre corporation, mais c’est en l’occurrence une sorte de cheminement très libre tout à fait nécessaire. Ce qui nous est proposé là est à vivre, et surtout à ne pas « forcer »…

*

Après chaque venue de Pierre Dhainaut, les enfants ont eu envie d’écrire. Une très grande partie des poèmes publiés dans nos recueils « Ecoutez deux minutes ! » sont nés dans ces moments-là, moments impressionnants de silence, d’une intensité incroyable.

La proposition qui me paraît la plus importante, la plus « opérationnelle », c’est cette éducation du regard sur le monde, ou plutôt sur la relation de l’individu au monde.

Que le résultat soit inégal, ce n’est guère étonnant, et c’est très bien ainsi. Car le danger du formatage existe toujours. Ecrire trois petites lignes n’est pas difficile. Encore faut-il qu’elles soient investies et signifiantes. Et elles ne le sont pas toujours… Il est donc important que la liberté perçue par les enfants quant à écrire ou non des haïkus reste grande. Tout le monde a fait ses tentatives. Pour certains, ce n’est pas allé plus loin : ils se sont en revanche tournés vers d’autres formes de poésie, soit en resserrant encore davantage (une seule ligne), soit en prenant davantage de place. Une « libération » toujours plus grande se fait jour. D’autres encore ont carrément cessé toute écriture poétique, ce qui ne nous pose aucun problème. Cela ne les empêche pas d’écouter avec grand plaisir la production de leurs pairs et d’accueillir toujours avec la même ferveur notre poète préféré !

Pour certains, en revanche, l’investissement est maximal. Il dépasse mes espérances et provoque l’étonnement de Pierre Dhainaut, qui, dit-il, ne pensait pas des enfants de neuf, dix ou onze ans capables d’atteindre un tel degré de profondeur, d’émotion, de pudeur, ni de saisir avec une telle justesse l’esprit du haïku.

Nous avons donc convenu de ne rien demander, de ne rien forcer, de laisser le flux se maintenir ou se tarir. De mon côté, j’invite, en fonction de ce qui arrive sur mon bureau, à dépasser le cadre du haïku, à adapter la forme à ce qui est à dire. Et l’on assiste effectivement à une diversification. Mais nous sommes toujours bien dans l’expression. Le travail consécutif consiste toujours en un élagage et à la recherche de la phrase bien sonnante.

Histoire en cours, passionnante et émouvante… Passionnante car elle ouvre sur des espaces jusqu’alors inconnus. Emouvante car elle m’aura permis de retrouver quelqu’un que j’aime beaucoup.

On peut aller consulter sur Internet divers sites pour approfondir :

sur Pierre Dhainaut : http://www.pierredhainaut.blogspot.com – Interviews, bibliographie et un petit film réalisé par la chaîne dunkerquoise ID7.
sur l’artiste plasticienne Marie Alloy : un site « biographique », avec des reproductions d’œuvres : http://www.artpointfrance.org/alloy/index.htm

… et un site sur des livres d’artistes édités au « Silence qui roule » :

http://www.artpointfrance.org/alloy/index.htm

Les derniers recueils de Pierre Dhainaut ont été publiés aux éditions Arfuyen (“Introduction au large”, 2001, “Entrées en échange”, 2005, “Levées d’empreintes”, 2008). Un choix de poèmes écrits entre 1961 et 1991 a été publié au Mercure de France en 1996 sous le titre “Dans la lumière inachevée”. Enfin, sabine Dewulf a publié, dans la collection “Présence de la poésie” (Editions des Vanneaux), un premier ouvrage sur Pierre Dhainaut (biographie, analyses, choix de poèmes).

4 L'album "Haïkus et autres petits poèmes", juin 2008

En fin d’année, j’ai rassemblé la totalité de la production des élèves (poèmes ; aquarelles spécifiquement dédiées à certains d’entre eux) dans un bel album intitulé « Haïkus et autres petits poèmes », pour lequel Pierre Dhainaut a écrit une préface et offert à la classe un poème inédit. J’y ai fait également figurer les « mises à plat » des livres d’artistes des enfants, non présentées ici puisque ces ouvrages feront l’objet de la partie suivante…

Préface écrite par Pierre Dhainaut pour le recueil “Haïkus et autres petits poèmes” :

Maintenant que s’achève l’année scolaire, je puis l’avouer : quand j’ai accepté en octobre la proposition de Jean-Marc Guerrien de me rendre dans sa classe, non pas pour assister à ses cours, pas davantage pour diriger les travaux des élèves, mais simplement pour rencontrer des enfants qui écrivent, qui le font avec plaisir, j’étais embarrassé. J’avais lu certains de leurs textes, et tout de suite ils m’avaient retenu parce qu’il ne s’agissait en rien de ce qu’on appelle trop souvent « poésie » dans nos écoles, ces exercices où seules comptent les rimes et qui ne connaissent que l’humour ou le sentimentalisme, mais comment allais-je pouvoir m’adresser à de si jeunes enfants ?

Dès le premier contact, mes craintes ont disparu. Je ne venais pas en maître. Je ne venais qu’en poète, en n’ayant nulle envie de leur imposer mes préférences, bien que je ne les aie pas dissimulées, je leur ai présenté quelques-uns de mes poèmes. Je me suis donc mis à leur écoute, ils m’ont lu leurs pages, et c’est peu à peu, dans la conversation, que je me suis risqué à les commenter : ici, l’expression n’évitait pas la banalité, là, le rythme n’était pas assez vif, ou bien je leur faisais prendre conscience d’un procédé de style qu’ils avaient employé sans en saisir la richesse. Ou bien encore je leur demandais de lire moins vite, de manière à donner une chance à la moindre syllabe. La voix du poème a tout le temps, elle est attentive, elle est généreuse.

C’est ainsi, de remarque en remarque, qu’un beau jour j’ai été amené à évoquer un genre qui m’est cher entre tous, le haïku. Mais je craignais que la sobriété du haïku et la sagesse, tout orientale, qu’il implique ne soient à la portée de ces enfants ; je me trompais. Il n’a pas fallu de longues explications pour qu’ils en devinent l’esprit, et bientôt ils ont désiré en composer eux aussi. Certes, il ne s’agissait pas d’imiter les poètes japonais qui respectent des règles contraignantes : les haïkus qu’ils ont écrits n’ont pas dix-sept syllabes, qu’importe. En très peu de mots, les enfants ont dit ce qu’ils voient ou entendent autour d’eux dans la vie quotidienne, qui les surprend, qui les émeut. Un seul exemple, je l’emprunte à Brice : « J’entends une eau qui goutte. / Peut-être un robinet qui fuit. / Mais c’est une cascade merveilleuse. » C’est cela, c’est parfaitement cela ! D’autres ont su dire de la même façon leurs rêves et leurs peines. Ces haïkus sont plus que des exercices. L’art d’écrire qui préfère au bavardage l’essentiel est inséparable d’un art de vivre ou plutôt d’être présent au monde. Dans une civilisation où l’on ne privilégie que la hâte et le vacarme, des enfants ont compris la valeur des souffles ou des instants où tout prend sens, intensité.

Nous ne ferons rien de juste sans patience, sans amour. Ces enfants l’ont également prouvé par ces livres où ils ont recueilli leurs poèmes, en les recopiant avec le plus grand soin, en les accompagnant de leurs aquarelles ou de leurs dessins, en choisissant la couleur et le format des feuilles, de véritables livres d’artistes. Ceux qu’ils m’ont offerts resteront entre mes mains comme les témoignages exceptionnels d’une belle année.

Bonnes vacances – et bonne chance.

PIERRE DHAINAUT

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5 Les livres d'artistes de Pierre Dhainaut...

Un jour, Pierre Dhainaut a décidé de ramener ses « livres d’artistes » pour les présenter aux enfants. Ces « livres d’artiste » sont des tirages extrêmement limités réalisés en collaboration avec des plasticiens. Il nous a montré par exemple son exemplaire (vingt-cinq publiés en tout) de « Vif, limpide, imprévisible », série de poèmes illustrée d’aquarelles originales de l’artiste peintre orléanaise Marie Alloy. Papier rare et somptueux emboîtage crée par un relieur de grand talent. Un magnifique objet pour bibliophiles… très riches !

Avis aux curieux : il en existe un exemplaire à la bibliothèque municipale de Lille, que l’on ne manipule qu’avec des gants blancs ! Les enfants ont pu en feuilleter d’autres, plus modestes, à même de leur donner envie, ce qui n’a pas manqué d’arriver.

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6 ...et ceux des élèves

Ces livres ont été réalisés durant les séquences d’arts plastiques.

Les cheminements ont différé dans l’articulation écrit/illustration. Tel enfant ayant préféré regarder dans l’ensemble de sa production ce qui pouvait être regroupé autour d’un même thème et constituer le contenu d’un livre, alors qu’un autre décidait d’abord d’un thème puis se mettait à écrire. L’écrit est le plus souvent venu d’abord. Mais il est possible aussi qu’une production plastique devienne un déclencheur d’écriture. Pierre Dhainaut nous a d’ailleurs longuement parlé de ce processus. Avec certains artistes, c’est lui qui fournit le poème qui sera illustré. Avec d’autres, il reçoit l’œuvre plastique pour laquelle il écrira.

Les livres ont été publiés à six exemplaires. Presque tous sont manuscrits (un beau et lourd travail de calligraphie, une grande attention à la correction orthographique) et illustrés d’aquarelles. Bien entendu, il n’existe pas deux exemplaires absolument identiques. Tous reçoivent leur « justification », c’est à dire qu’ils sont numérotés et signés par leur auteur !

Les photos de ces livres ont été réalisées par Vincent Villemaire, que je remercie chaleureusement, et dont les talents sont à découvrir sur son site : http://www.villemaire.fr

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Contact

Jean-Marc GUERRIEN
Professeur des Ecoles
jmguerrien@orange.fr

03 28 65 47 07
Autres intervenants:Le poète Pierre Dhainaut

Forte de quelque trente ouvrages publiés depuis près de 40 ans, l’œuvre de Pierre Dhainaut, inaugurée avec Le poème

commencé (Mercure de France, 1969) apparaît de plus en plus comme l’une des œuvres majeures de la poésie française contemporaine). L’anthologie parue au Mercure de France en 1996, Dans la lumière inachevée, de même que le colloque qui lui a été consacré en 2007 à la Sorbonne sous la responsabilité de Jean-Yves Masson, confirment la richesse et l’originalité de cette démarche dont le raffinement et la discrétion, proches de celles d’un Philippe Jaccottet, s’accommodent mal des tambours et trompettes dont nos oreilles sont pleines.
Pierre Dhainaut est né en 1935 à Lille. S’il aime le Nord, c’est moins celui des banlieues ouvrières où il passa son enfance et son adolescence que celui de la plaine des Flandres et surtout celui de la mer : dès 1957, il vit à Dunkerque. Mais d’autres lieux lui sont nécessaires, pour lesquels il écrira également, en particulier le massif de la Chartreuse et l’Aubrac.
Après avoir subi l’influence du surréalisme, il publie en 1969 son premier livre. La ferveur qui l’animait sera remise en cause avec violence entre 1970 et 1977. La crise dénouée, il aspire à une expression qui interroge autant qu’elle célèbre, qui révèle un pays, un pays d’accueil dans la durée commune.
Il a souvent collaboré pour des éditions à tirage limité avec des graveurs ou des peintres. À quelques-uns des poètes qu’il a rencontrés et qui l’ont marqué, il a rendu hommage par des livres ou des numéros spéciaux de revues : Octavio Paz, Bernard Noël, Jean-Claude Renard et surtout Jean Malrieu dont il a préparé aussi plusieurs éditions posthumes.
Il a été distingué par le Prix de Littérature Francophone Jean Arp en novembre 2009, Prix qui lui  a été remis à Strasbourg dans le cadre des 5° Rencontres Européennes de Littérature en mars 2010.