Naitre, grandir et vieillir dans le dessin de l’enfant.

Quelques points de repères.

René Baldy

Ce qu’il y a de bien avec les enfants c’est que l’on peut leur demander de dessiner n’importe quoi, ils le font sans rechigner. Qu’on leur demande de dessiner un bonhomme, une maison ou un animal, passe encore. Qu’on leur demande de dessiner « grandir ou les âges de la vie », c’est déjà plus subtil mais ils le font. C’est peut-être pour cette raison que le dessin constitue une méthode de recherche très utilisée pour explorer les représentations mentales que les enfants ont élaborées relativement à des personnes (un scientifique, par exemple), des objets (un environnement pollué, par exemple) ou des phénomènes (la digestion, par exemple). Les consignes sont en général suffisamment ouvertes pour permettre aux enfants de choisir en fonction de leurs connaissances et de leur état d’esprit les éléments à mettre en avant dans leurs dessins.

Il faut cependant être prudent ! Personne n’a accès aux représentations mentales de son voisin. Et c’est heureux ! Le dessin réalisé par l’enfant n’est jamais le reflet de sa représentation mentale. Il n’est qu’une expression plus ou moins déformée de cette représentation.

L’objectif de ce texte est de proposer au lecteur des points de repère pour situer les dessins de son enfant. Nous présentons et commentons trois séries de dessins : la « maman enceinte »,  « le bébé, l’enfant et l’adulte » et « la personne jeune et la personne âgée ».

La « maman enceinte »

Avant que le bébé ne naisse, il faut que la maman soit enceinte. On dit que la maman est enceinte quand elle porte un bébé dans son ventre. L’enfant qui dessine une maman enceinte doit donc « signifier » dans son dessin la présence du bébé dans le ventre de la maman. Avec quelle(s) stratégie(s) signifie-t-il cette présence ? Et comment ces stratégies évoluent-elles au cours du développement ?

Figure 1 : Evolue avec l’âge du dessin de la maman enceinte (extrait de « René Baldy (2011). Fais-moi un beau dessin. Parsi : Editions Inpress. Page 63».

Figure 2 : dessin présenté dans l’exposition

A cinq ans les enfants signifient souvent la grossesse en dessinant un bébé dans le ventre de la maman : la maman est généralement dessinée en premier et vue de face puis le bébé est ajouté dans son ventre. On voit le bébé comme si le ventre de la maman était transparent. Cette « anomalie » ne choque pas du tout le jeune enfant qui généralement ne souhaite pas corriger son dessin quand on le lui propose. La présence du bébé vu par transparence dans le ventre de la maman est la seule stratégie dont dispose l’enfant de cinq ans pour signifier clairement la grossesse. On trouve ce genre de dessins dans la collection « grandir » (figure 2). Quand le bébé n’est pas dessiné dans le ventre de la maman, la grossesse n’est pas signifiée clairement si ce n’est par un gros ventre rond vu de face peu significatif. Certains enfants ajoutent, en fin de procédure, un deuxième ventre rond dans celui déjà dessiné, d’autres dessinent un bébé dans les bras ou à côté de la maman.

A partir de sept ans les dessins transparents deviennent rares et sont facilement corrigés. La grossesse est alors signifiée par un gros ventre. Souvent la maman est dessinée vue de face avec le ventre vu de profil.

A neuf ans, la grossesse est clairement marquée par un dessin de profil avec un ventre bien rond. Lorsque la maman est dessinée vue de face, le marquage de la grossesse devient subtil : ventre rebondi, soutenu par les mains, poitrine, traits qui marquent la rondeur.

Les adultes dessinent généralement la maman selon un profil complet en signifiant la grossesse par la nudité rendant visible le ventre rond, le nombril ou la poitrine

« Le bébé, l’enfant et l’adulte »

Figure 3 : exemples de dessins d’un bébé, d’un enfant et d’un adulte (extrait de « Baldy René (2010). Dessine-moi un bonhomme. Paris : Editions Inpress)

Quand ils dessinent un bonhomme, les enfants dessinent généralement une personne adulte. La présence de détails comme la cigarette ou des vêtements spécifiquement adultes comme la cravate, le chapeau, les chaussures à talon haut, etc. en témoignent. Quand on l’interroge sur ce point, l’enfant paraît assez surpris. Manifestement, il ne se préoccupe pas plus de l’âge du bonhomme qu’il ne se préoccupe de celui des arbres ou des maisons qu’il dessine. Dessiner intentionnellement un bonhomme adulte suppose au moins que l’on se pose la question et que l’on soit capable de dessiner un bonhomme qui ne soit pas adulte (bébé ou enfant).

Comment évolue cette capacité avec l’âge ?

La stratégie la plus simple consiste à augmenter la taille avec l’âge du bonhomme : l’adulte est plus grand que l’enfant qui est plus grand que le bébé. La taille est le premier signifiant qui indique l’âge du  bonhomme.

Outre la hauteur du dessin, l’âge peut être indiqué par d’autres signifiants.

L’âge adulte est indiqué par le chapeau, la moustache, la barbe, la poitrine des personnages féminins, des accessoires comme la pipe, un cartable ou les lunettes.

Le jeune âge du bébé est indiqué par des cheveux « en houppette », des vêtements spécifiques (emmailloté, pyjama, couches), des accessoires (biberon, tétine) et la position (couché, assis par terre, à quatre pattes, jambes en losange <>).

Globalement, l’utilisation des marques spécifiques augmente au cours du développement, rendant ainsi l’âge plus facilement identifiable. Finalement c’est l’enfance qui semble le plus difficile à signifier (jouer au ballon, par exemple) si bien que le dessin « enfant » se reconnaît essentiellement par sa hauteur entre celle du bébé et de l’adulte.

« La personne jeune et la personne âgée »

Figure 4 : dessins de personnes jeunes (garçon et fille) et de personnes âgées (homme et femme) réalisés par des enfants de 9 à 12 ans (extrait de « Villar, F. and Faba, J. (2012). Draw a Young and an Older Person: Schoolchildren’s Images of Older People. Educational Gerontology, 38, 827–840 »).

Villar & Faba (2012) ont étudié les représentations que les enfants se font des personnes âgées en utilisant le dessin. Ils comparent ces représentations à celles que les mêmes enfants se font des personnes jeunes. Des enfants âgés de 9 à 12 ans scolarisés dans des écoles de Barcelone devaient dessiner un vieil homme, une vieille femme, un jeune homme et une jeune femme.

Qu’observe-t-on ?

Le jeune homme dessiné est souriant, avec les cheveux courts, habillé avec une chemise ou un T-shirt, un jeans, des baskets et jouant au ballon. Il est en moyenne plus grand que les personnes âgées. La jeune femme dessinée est souriante, avec les cheveux longs, habillée d’une robe courte ou de pantalons et présente de nombreux éléments de féminité.

La personne âgée dessinée sourit moins souvent. L’homme âgé dessiné a des rides, une calvitie ou des cheveux courts et gris ou est coiffé d’un béret. Il porte des lunettes et marche avec une canne. La femme âgée dessinée a des rides et un chignon. Elle est habillée d’une robe longue et de chaussures plates et, elle aussi, porte des lunettes et marche avec une canne. Les auteurs précisent que les dessins montrant des personnes âgées « mal en point » (tristes, courbées ou bossues, tremblantes, en fauteuils roulants) étaient relativement rares.

Les dessins de la personne âgée (notamment celui de l’homme âgé) comportent plus de signifiants graphiques spécifiques communs à tous les dessins, et sont donc moins variés que ceux des personnes jeunes. Ils traduisent une représentation de la personne âgée plus stéréotypé, plus nette et plus homogène si on la compare avec celle de la personne jeune plus complexe, plus diversifiée et au contour plus diffus.

Rides, lunettes et cannes auxquels on peut ajouter le chignon pour les femmes et le béret pour les hommes suffisent pour distinguer les dessins de personnes âgées de ceux des personnes jeunes.  Ces éléments reflètent peut-être pour une part la représentation de la personne âgée contemporaine que l’enfant connait (voisins, grands-parents, etc.) mais relèvent surtout du stéréotype ancien de la personne âgée. Certes, dans la réalité les personnes âgées sont ridées (quand elles n’ont pas fait de lifting), portent des lunettes de vue (quand elles ne portent pas des lentilles de contact) et même sont souvent plus petites que les jeunes gens. Il est donc possible que les dessins reflètent cette réalité. Mais, certains éléments comme le béret, le chignon et même l’usage de la canne, sont largement représentés dans les dessins alors qu’ils sont très peu visibles dans la réalité urbaine d’aujourd’hui. Ils relèvent du stéréotype traditionnel et assez sympathique de la personne âgée encore véhiculé par la culture.

Bref ! Les dessins expriment plus une idée ancienne de la personne âgée nourrie par les livres d’images ou des dessins animés que la réalité contemporaine visible dans la rue. Il faudrait le vérifier, mais il est probable que beaucoup d’enfants ont dessiné une dame âgée avec un chignon et une canne alors que leur grand-mère ou leur voisine a les cheveux courts et fait régulièrement du footing.

L’analyse des dessins confirme un stéréotype de genre bien connu. Les filles attachent une grande importance aux éléments du dessin relatifs à l’apparence physique des jeunes femmes. Elles soignent les traits du visage (lèvres, cils, sourcils, etc.), indiquent les ongles des mains, marquent la poitrine en accentuant le décolleté, ajoutent des talons hauts, des bijoux, une ceinture, un sac à main, etc. Ainsi, le dessin de la jeune femme est celui qui présente la plus grande diversité d’éléments spécifiques. De plus, pour souligner la féminité ou la beauté, elles dessinent les personnages féminins plus minces que les personnes des autres catégories.